Richard Prasquier
Richard Prasquier, né Ryszard Praszkier, le 7 juillet 1945 à Gdańsk en Pologne, est un médecin cardiologue français, Président du Conseil représentatif des institutions juives de France de 2007 à 2013.
66ème anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie. Les hasards des calendriers rapprochent cette année les commémorations. Quand les Israéliens ont décidé d’instituer un jour de la Shoah ils voulaient choisir la date de l’entrée des troupes nazies dans le ghetto de Varsovie, le 19 avril 1943. Mais c’était aussi ce jour-là la veille de Pessah, le 14 Nissan et pour les Nazis le choix n’était pas fortuit, d’autant que le lendemain était l’anniversaire de leur Führer à qui ils voulaient faire un beau cadeau. Les difficultés pratiques d’une commémoration le 14 Nissan ont fait préférer le 27 Nissan pour le Yom ha Shoah. Les deux commémorations de la Révolte du ghetto en calendrier grégorien, et le Yom haShoah en calendrier hébreu se suivent cette année. Quelques-uns d’entre nous commémorerons le Yom haShoah à Genève demain soir ; ce sera une cérémonie particulière.
L’an dernier, 65e anniversaire de la révolte du ghetto, une délégation du CRIF était allée en Pologne pour participer aux cérémonies. Tenues en présence du Président Pérès et du Président de la République polonaise, Lech Kascynski, elles furent remarquablement organisées. Je suis heureux de témoigner une fois de plus notre émotion à mon ami Mr Orlowski, ambassadeur de Pologne en France. Nous n’avons ressenti lors de ces manifestations aucune tentative de récupération, d’amalgame ou de déformation historique. Les relations judéo-polonaises ont considérablement avancé: le souvenir reste toujours insupportablement douloureux pour beaucoup de survivants, et les manifestations de rejet vis-à-vis des Juifs n’ont aujourd’hui encore pas totalement disparu, loin de là. Mais dans la nouvelle Pologne, où la communauté juive est évidemment toute petite, beaucoup de perceptions ont changé ou sont en train de changer. L’évolution des mentalités suit le temps long de l’histoire et le poids des stéréotypes, des habitudes antisémites reste terriblement pesant, mais nous allons de l’avant. Des barrières ont sauté, le non-dit s’exprime, les historiens peuvent travailler en commun et il n’est pas sans importance que plusieurs livres récents témoignent de ces relations judéo-polonaises sans esprit manichéen. Un colloque sur les Juifs en Pologne aura lieu en juin. Il est co-organisé par le CRIF et la bibliothèque polonaise et se tiendra dans les lieux symboliques de la mémoire polonaise et juive à Paris.
J’ai dit dans mon discours l’an dernier que nous ne devons pas oublier que dans l’histoire du ghetto de Varsovie, dans les actions militaires au cours du soulèvement et plus tard au cours des essais de sauvetage des survivants, plusieurs polonais non-juifs se sont honorés. J’ai cité le nom de certains d’entre eux, souvent peu connus d’autant plus admirables que les risques qu’ils prenaient étaient à proprement parler inouïs et que beaucoup sont morts au cours ou en conséquence de leurs actions.
Je voudrais aujourd’hui que nous ayons une pensée spéciale à cette vieille dame de 98 ans que je citais dans mon discours, Irena Sendler, Juste emblématique parmi tous les Justes. Elle est morte le 12 mai 2008 dans sa maison de retraite et un livre vient de lui être consacré en français. Iréna qui ne cessait de répéter qu’elle regrettait de ne pas en avoir fait plus, a organisé un réseau par lequel 2500 enfants, je dis bien 2500 enfants sauvés un à un, ont franchi clandestinement le ghetto, par les égouts, par les caves, et pour les bébés sous des sacs de pommes de terre, dans les boites vides de désinfectants contre le typhus, dans les replis d’une robe. Il fallait non seulement trouver le moyen de traverser les barrières gardées du ghetto, mais empêcher les bébés de pleurer, leur trouver de faux papiers, des familles ou des maisons d’accueil, leur apprendre pour les plus grands une nouvelle vie, de nouveaux réflexes et de nouvelles prières. Tout cela dans une ambiance où toute personne découverte à aider les Juifs pouvait être conduite à la mort en même temps que sa famille. Il fallait aussi garder secrètement la trace de leur identité réelle et il avait fallu auparavant arracher aux mères, quand il restait une mère dans le ghetto, l’autorisation d’amener leur enfant, sans évidemment pouvoir leur garantir sa survie. Iréna Sendler a été arrêtée par la Gestapo, torturée, miraculeusement sauvée par ses amis de la sinistre prison Pawiak: elle n’a jamais fléchi, elle n’a jamais hésité. Pour elle, le devoir d’humanité était lié au souvenir de son père, médecin des pauvres, que le nom d’Iréna Sendler reste en bénédiction.
Ce serait blesser la dignité de cette cérémonie que de la prendre en témoin des excès de langage, des imprécations, des amalgames qui dans le confusionnisme qui a marqué la représentation des événements du mois de janvier a vu fleurir les comparaisons entre Gaza et le ghetto de Varsovie et les accusations générales de génocide être proférées contre Israël comme des éléments de propagande, sans le moindre souci de la vérité des faits. C’est une triste constatation que de voir comment les mots peuvent être pervertis sans provoquer d’indignation. Et pourtant si on ne s’accorde par sur le sens des mots comment peut-on échanger des pensées? Cela ne doit évidemment pas nous rendre sourds à la détresse des familles -toutes les familles- qui pleurent leurs morts, cela ne doit pas nous empêcher d’écouter la souffrance des palestiniens qui pour leurs enfants espèrent un avenir de paix. Nous devons refuser la propagande unilatérale, mais nous avons un devoir de lucidité et nous ne pouvons pas être aveugles aux discours de haine, d’où qu’ils viennent.
La destruction du ghetto de Varsovie a eu lieu dans une ville où les premiers rayons du printemps étaient comme une promesse de bonheur. Le grand poète Czeslaw Milosz, prix Nobel de littérature a décrit dans un poème célèbre ce contraste terrible entre le ghetto en flammes et la ville hors des murs. Ecoutons-le:
C’était à Varsovie près du manège
Par une claire soirée de printemps,
Aux sons d’une musique entraînante ;
Les coups de feu derrière le mur du ghetto,
Se perdaient dans la joyeuse mélodie,
Et sur le manège, les couples s’envolaient,
Se balançant dans le ciel sans nuages.
Le vent qui traversait les maisons incendiées
Leur retirait de sombres lambeaux,
Et ceux qui étaient au manège
Recevaient quelques pétales de cendres
Ce même vent chaud faisait voler les robes des filles
Et les gens riaient, heureux,
Ce beau dimanche de Varsovie.
Je pensais au Campo dei Fiori
Et à la solitude des mourants
Quand Giordano monta sur son bûcher
Et qu’il n’y avait pas de mot, dans aucune langue
Pour témoigner pour l’humanité
Cette humanité qui continuait de vivre
Ce poème se nomme le Campo dei Fiori, d’après le nom de cette place de Rome, près de la villa Farnèse, où se trouvait un marché d’animaux fort animé et où en l’an 1600, au milieu de la place et dans l’indifférence de la foule fut brûlé vif Giordano Bruno qui avait émis des positions religieuses incompatibles avec le dogme.
Et je penserai à ce Campo dei Fiori, je penserai à Giordano Bruno quand demain à Genève, veille du Yom haShoah, Mahmoud Ahmadinejad pénétrera dans la salle du Conseil des Nations Unies. Il représente tout ce qui va à l’encontre de ce qui nous mobilise: le négationnisme, la haine d’Israël, certes, mais plus profondément encore le rejet des Droits de l’Homme, de la liberté d’expression, de la possibilité de critique, de la possibilité de vivre ses différences. Il représente le fanatisme qui rejette l’autre dans l’homme. Et l’état de désarroi où notre civilisation se trouve dans la défense de nos valeurs donne au Président négationniste iranien la tribune la plus prestigieuse pour parler des Droits de l’Homme, qu’il viole quotidiennement dans son pays.
Et je me rappellerai ce que disait Arié Wilner, qu’on appelait Jurek, membre de l’Organisation Juive de Combat, mort pendant l’insurrection du ghetto:
My nie chcemy ratować życia. Żadny z nas żywy z tego nie wyjdzie. My chcemy ratować ludzką godność (Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne d’entre nous ne sortira vivant d’ici. Nous voulons sauver la dignité humaine.
A Genève au fond, il sera question de dignité humaine…….
Richard PRASQUIER
Président du CRIF
Photo : © 2009 Alain Azria






