Ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports pendant cinq ans (2017- 2022), Professeur de droit public à l’Université Paris II, Jean-Michel Blanquer est le président du « Laboratoire de la République » et l’auteur du tout récent livre « Civilisation française. Un territoire, une langue, une République » (Éd. Albin Michel, novembre 2025). Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, il évoque la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour laquelle il s’est beaucoup mobilisé, et les conditions de sa libération. Il souligne aussi les leçons à tirer des attentats du 13 novembre, en particulier en ce qui concerne la nomination de ce qui doit être combattu.
Le Crif : Avec le Laboratoire de la République, vous avez été en première ligne de mobilisation pour que l’écrivain Boualem Sansal soit libéré. Quel enseignement majeur tirez-vous de cette affaire ?
Jean-Michel Blanquer : Il faut toujours rester clair, simple et ferme sur les sujets qui concernent la liberté de conscience et la liberté d’expression. Il est important de se mobiliser dans ce genre de cas où un écrivain est emprisonné de manière totalement arbitraire. Il a fallu une forte et constante mobilisation pendant toute l’année où Boualem Sansal a été emprisonné pour arriver à ce résultat, qui a aussi été possible avec l’internationalisation de la mobilisation. L’enseignement majeur est qu’il ne faut jamais fléchir quand nos grandes valeurs sont en cause.
Le Crif : Comment interprétez-vous la médiation de l’Allemagne et considérez-vous que la diplomatie la plus discrète, voire secrète, est parfois plus efficace que certaines déclarations politiques péremptoires ?
Jean-Michel Blanquer : Il faut toujours articuler deux choses dans ce genre de situation. Un propos clair, net et ferme d’une part, et une capacité à discuter d’autre part. Et c’est ce qui s’est passé. Depuis le début, quand Boualem Sansal a été arrêté à Alger, il était clair que la solution pouvait être trouvée par la voie d’un lien international en raison de la très grande difficulté dans laquelle se trouvait la relation franco-algérienne et des jeux de rôle qui existent en la matière. Il ne faut donc pas opposer les démarches car l’issue heureuse dans l’affaire Sansal vient de trois vecteurs : d’abord, la mobilisation de l’opinion publique et la fermeté sur les principes ; ensuite, le travail diplomatique pour maintenir les canaux de discussion ; enfin, le recours à un pays tiers pour dépasser les difficultés de la relation bilatérale.
« Il y a des moments où il faut de la discrétion et des moments où il faut de la mobilisation »
Le Crif : Un journaliste français, Christophe Gleizes, reste emprisonné en Algérie. Que pensez-vous de l’évolution possible des relations France-Algérie, et est-ce que ce
journaliste peut être libéré lui aussi, sa libération doit-elle être un préalable au processus de normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays ?
Jean-Michel Blanquer : Nous espérons vivement bien entendu qu’il soit rapidement libéré lui aussi dans la mesure où il est innocent. Un procès est en attente, nous
demandons que son innocence soit reconnue. En tout cas, il faut continuer à espérer que l’innocence soit reconnue, continuer à se mobiliser pour lui, d’une façon qui soit efficace. Il y a des moments où il faut de la discrétion et des moments où il faut de la mobilisation, en lien avec les familles concernées. En tout cas, on ne doit jamais fléchir sur ce qui est en cause, ni se soumettre à des chantages.
Le Crif : Avez-vous des nouvelles de Boualem Sansal, de son état de santé notamment ?
Jean-Michel Blanquer : Oui. J’en ai eu par notre comité de soutien et l’entourage de l’écrivain. Il semble que son état de santé ne soit pas trop mauvais. Son état sur le plan psychologique est bon. C’est un bonheur de savoir qu’il n’a pas perdu sa pleine liberté d’esprit.
« Il faut empêcher le fondamentalisme islamiste de se déployer. Il faut lui couper ses moyens de financement et de communication. »
Le Crif : À propos de la commémoration des attentats du 13 novembre, commis il y a dix ans, une forte cérémonie a eu lieu à Paris, avec l’inauguration d’une place du 13 novembre et l’inscription des noms de chacune des 135 personnes qui ont perdu la vie dans ces attaques terroristes. Face à l’islamisme meurtrier, des discours ont évoqué la force supérieure des réponses et de la résilience démocratiques, vous les partagez ?
Jean-Michel Blanquer : Je suis convaincu que ce qui doit caractériser la démocratie, c’est sa capacité à se défendre contre les forces anti-démocratiques. On doit donc être capable de prendre des mesures exceptionnelles. Il s’agit là d’une bataille, à l’échelle interne comme à l’échelle internationale, entre les forces démocratiques et ceux qui veulent mettre à bas la République et la démocratie. Cela suppose une grande lucidité, une grande netteté dans l’identification des problèmes auxquels nous sommes confrontés, cela suppose aussi une cohérence dans la manière de s’attaquer à ce qui constitue le terreau du terrorisme. Il faut donc empêcher le fondamentalisme islamiste de se déployer. Il faut lui couper ses moyens de financement et de communication. C’est ce que nous avons amorcé avec la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Il faut aller plus loin dès que les conditions politiques le permettront.
Le Crif : Dans l’identification du problème, Bernard Cazeneuve a évoqué il y a quelques jours « le totalitarisme islamiste ». Êtes-vous d’accord avec cette dénomination, qu’il appliquait à ce qui avait produit les attaques du 13 novembre 2015, un « totalitarisme » qui continue à menacer en France et à sévir ailleurs dans le monde ?
Jean-Michel Blanquer : Oui, j’ai toujours été en accord avec la façon dont Bernard Cazeneuve analyse ce grand problème. Je partage avec lui cette lucidité sur les
menaces et la capacité que nous devons avoir à les nommer et à les combattre.
Le Crif : De ce point de vue, vous êtes camusien…
Jean-Michel Blanquer : Oui, de ce point de vue, je suis camusien mais je crois l’être sur bien des points… (sourire). Sa pensée est encore un guide clair lorsque l’on défend la liberté.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
– Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs –

