David Lisnard : Le plan de paix à Gaza « est conditionné au désarmement du Hamas […] qui refuse la coexistence et instrumentalise […] sa propre population »

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Président de l’association des maires de France (AMF) et du mouvement Nouvelle Énergie, David Lisnard jette un regard critique sur la situation politique actuelle, dont il impute la responsabilité au Président de la République. Répondant aux questions de Jean-Philippe Moinet, il précise les perspectives qu’il veut tracer et qui passe, à ses yeux, par des « primaires ouvertes » permettant de sélectionner le candidat de la droite et du centre à la prochaine présidentielle. Le Maire de Cannes analyse aussi la situation au Proche-Orient, le plan de paix avancé pour Gaza et estime que la reconnaissance de l’État de Palestine par Emmanuel Macron n’a pas favorisé le plan de paix mais a, selon lui, « affaibli la voix de la France dans la région ».

Le Crif : Comment qualifiez-vous la situation politique actuelle en France ? Les chances d’un compromis autour des options budgétaires du Gouvernement Lecornu vous semblent-elles quasi-nulles à l’Assemblée Nationale ?

David Lisnard : La situation est chaotique et navrante, pour le moins que l’on puisse dire. Cette situation de blocage inédite sous la Vème République, qui nous renvoie aux pires heures de la IVème, est la conséquence directe d’une succession de décisions funestes basées sur des erreurs de jugement du Président de la République. Cela a commencé par cette « étrange dissolution » qui ne fut rien d’autre qu’un référendum sur sa personne, et qu’il a perdu. Et cela se termine, malgré un désaveu cinglant, par son acharnement à vouloir garder la main sur le gouvernement et sur Matignon.

Pour perdurer au nom de la « stabilité », le Premier Ministre s’est mis dans la main du Parti socialiste, renforçant par là même l’instabilité du pays, avec sa surenchère fiscale et dépensière. En ces conditions, un compromis sur le budget à l’Assemblée est possible, d’autant que le fiscalisme et le conformisme semblent très répandus parmi trop de ministres et de députés, de LFI jusqu’au RN, comme on a pu le vérifier lors des débats. Il n’y aura pas de sursaut tant que nous ne réduirons pas les dépenses publiques, et avec elles, le périmètre d’intervention de l’État pour le recentrer sur ses missions régaliennes.

« Il est impensable que la droite républicaine soit la rustine du Titanic car elle doit représenter l’alternance »

Le Crif : Le « socle commun », qui réunissait le bloc central et LR, semble très affaibli. Pourtant, l’alliance de la droite républicaine et du centre n’a-t-elle pas été la condition des victoires électorales de ces familles politiques ?

David Lisnard : Pour ma part, je ne me suis jamais considéré comme un membre du « socle commun ». Les Républicains avaient tout intérêt à s’emparer des responsabilités lorsque le pouvoir était vacant, au sortir des législatives, compte tenu de la fragmentation politique issue des urnes, afin d’éviter au pays le chaos mortel de l’extrême gauche. Mais aujourd’hui, gouverner avec ceux qui ont été évincés du pouvoir puis remis en place par l’Élysée, pour nous resservir la même politique social-étatiste, relèverait du suicide politique. Comme j’ai pu le dire à plusieurs reprises, il est impensable que la droite républicaine soit la rustine du Titanic car elle doit représenter l’alternance et, ainsi, ne pas en laisser le monopole à l’extrême gauche et au RN. Il est pour cela indispensable qu’elle porte un projet puissant, soutenu par une majorité la plus large possible.

LR seul ne parviendra pas à rassembler tous les électeurs de la droite et du centre, une majorité d’entre eux ayant trouvé refuge dans d’autres formations. C’est pourquoi je propose avec mon parti Nouvelle Énergie une initiative susceptible de réunir ces électeurs, qui sont majoritaires dans le pays, autour de quelques mesures indiscutables pour redresser la France et qui transcendent bien des clivages désormais : la modernisation de l’État, la réduction de la dépense publique, l’instauration d’une retraite par capitalisation, le réarmement de l’État dans ses fonctions régaliennes, une politique migratoire enfin maîtrisée, la reconstruction éducative et culturelle, une grande ambition pour l’instruction publique et une vraie décentralisation. C’est par la force de ce projet, qui tranchera avec la mollesse de l’offre actuelle, que nous ferons l’union.

« Le pire serait de rejouer les erreurs du passé : divisions, indécision, confusion »

Le Crif : Mais comment départagerez-vous à LR les candidats à la présidentielle dont vous êtes ?

David Lisnard : L’enjeu dépasse LR et concerne tout le spectre du centre et de la droite. Pour devenir une force d’alternative crédible, il faut se donner une méthode claire, transparente et démocratique pour désigner celui ou celle qui portera un projet présidentiel de redressement national. Comme expliqué, la seule voie aujourd’hui réaliste, c’est une primaire ouverte, sur le modèle de celle de 2016 qui avait mobilisé plus de quatre millions d’électeurs. Mais cette compétition ne peut être un casting sans boussole. Chaque candidat devra s’engager sur un socle de rupture non négociable, fondé sur les objectifs que je viens de vous lister. Cette procédure de désignation doit dépasser les frontières partisanes.

La situation de la France exige que nous ouvrions cette primaire à tous ceux qui partagent les principes de liberté de création, de responsabilité individuelle et d’indépendance nationale. Il s’agit de bâtir une grande entente d’alternance, respectueuse des différences de chacun mais unie autour de l’essentiel. Le seul critère doit être la clarté du projet et la volonté d’agir. Je propose donc un cadre simple : un accord sur des mesures fondamentales et une primaire ouverte pour désigner le candidat et le projet. Une telle méthode permettrait à chacun d’identifier les candidatures ambigües, les postures, les solutions de confort. Le pire serait de rejouer les erreurs du passé : divisions, indécision, confusion. La légitimité du candidat doit venir du peuple, pas d’un cénacle de notables. Telles sont les conditions pour devenir une force d’espérance.

Le plan de paix à Gaza « est conditionné au désarmement du Hamas qui est une organisation terroriste, militarisée, antisémite, qui refuse la coexistence et instrumentalise cyniquement sa propre population »

Le Crif : La situation à Gaza est passée de la guerre à une phase politique et diplomatique, avec la libération des otages et un cessez-le-feu. Vous réjouissez-vous ou non de cette nouvelle donne et du plan de paix évoqué, conditionné au désarmement du Hamas et à la fin de sa gouvernance de ce Territoire palestinien ?

David Lisnard : Je me réjouis, bien sûr, de la libération progressive de plusieurs otages israéliens, comme de la restitution des corps de ceux qui ont été assassinés dans des conditions abjectes par le Hamas. C’est une étape indispensable. Et ce n’est qu’un commencement. Le cessez-le-feu actuel, issu de la première phase du plan mis en place par les États-Unis, marque une désescalade bienvenue mais ce cessez-le-feu reste fragile. Rien ne permet encore de parler d’une paix durable. Ce plan a le mérite d’avoir réintroduit des objectifs positifs, avec un rapport de forces et des exigences claires, qui avaient disparu de la diplomatie internationale. Il repose sur une séquence réaliste : d’abord la libération des otages, ensuite le désarmement complet du Hamas, enfin la sortie politique par la mise en place d’une nouvelle gouvernance à Gaza. Cette méthode, validée par plusieurs puissances régionales, redonne un cadre possible à une stabilisation pérenne. Mais tout cela est conditionné au désarmement du Hamas qui est une organisation terroriste, militarisée, antisémite, qui refuse la coexistence et instrumentalise cyniquement sa propre population. Tant qu’il contrôle ce territoire, Gaza restera un foyer d’instabilité chronique et un danger pour Israël.

Ce que ce plan a permis, c’est aussi un fait géopolitique majeur : l’émergence d’un consensus inédit dans plusieurs États musulmans, comme l’Arabie Saoudite, pour conditionner toute reconstruction à la fin du pouvoir du Hamas. Il faut donc saluer cette nouvelle donne avec lucidité : nous sommes à l’entrée d’un processus, pas à sa conclusion. Tout dépendra de la capacité à faire appliquer les conditions posées, sans ambiguïté, et à éviter les replis diplomatiques ou les compromissions tactiques. Il n’y aura de sortie par le haut que si la sécurité d’Israël, la dignité des Palestiniens et la stabilité régionale sont traitées ensemble, sur la base d’un principe simple : aucune paix ne se construit avec ceux qui la combattent et aucune sécurité d’Israël n’est possible avec les néonazis du Hamas à Gaza.

« La seule approche sérieuse reste celle des deux États mais en dernière étape d’un processus diplomatique rigoureux, garantissant à la fois la sécurité absolue d’Israël et la stabilité d’un futur État palestinien né d’un accord régional »

Le Crif : Approuvez-vous la « solution à deux États », qui est la position traditionnelle de la France ? Quelles conditions mettez-vous à la mise en œuvre de cet objectif ?

David Lisnard : La solution à deux États est la position historique de la diplomatie française. Mais la France a toujours assorti cette perspective de trois exigences précises : l’existence d’un gouvernement palestinien légitime et unifié, capable d’assurer l’ordre et de représenter l’ensemble du peuple palestinien ; un cadre territorial défini et accepté par les deux parties ; et bien évidemment un engagement explicite et vérifiable pour la paix, la reconnaissance d’Israël et sa sécurité. J’ai dit à plusieurs reprises que la reconnaissance de la Palestine par le Président de la République en septembre dernier fourvoyait la France. Il ne s’agit pas de contester l’aspiration à un État palestinien, qui est légitime, mais de dénoncer une méthode contraire à toute rigueur diplomatique.

Reconnaître un État qui n’existe pas encore, sans frontières, sans gouvernement unifié et sous la domination d’une organisation terroriste, est une faute. Le Président Macron avait lui-même fixé comme préalable à cette reconnaissance la libération de tous les otages, vivants et morts. Il ne l’a pas respecté. Et il a privé la France d’une arme diplomatique essentielle pour jouer un rôle pacificateur dans la région. Maintenant que la France, qui n’avait pas reconnu d’État palestinien depuis 1948 tout en promouvant le principe de la solution à deux Etats, a reconnu la Palestine dans la foulée du 7 octobre et a reçu pour cela les félicitations du Hamas, qu’a-t-elle à dire et à faire ? Cette décision a légitimé le Hamas, qui a pu se présenter comme un acteur reconnu de fait dans le jeu diplomatique, alors qu’il demeure une organisation terroriste. Elle a affaibli la voix de la France dans la région, en rompant avec la position tenue depuis des décennies, fondée sur la progressivité, le dialogue et les garanties de sécurité. Elle a dégradé notre crédibilité diplomatique, en réduisant la France à un rôle de « figurante bavarde » de la scène internationale.

La seule approche sérieuse reste celle des deux États mais en dernière étape d’un processus diplomatique rigoureux, garantissant à la fois la sécurité absolue d’Israël et la stabilité d’un futur État palestinien né d’un accord régional.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet 

– Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs –