70e anniversaire de la rafle du 9 février1943, rue Sainte-Catherine à Lyon : discours de Nicole Bornstein, présidente du Crif Rhône-Alpes

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Jour après jour, l’horloge tourne….  on ne tourne pas la page ! Nous voilà aujourd’hui à nouveau réunis, jeunes et moins jeunes, proches et moins proches de cette déchirure de notre histoire, personnalités ou simples citoyens pour nous souvenir, ensemble, 70 ans après, de cette terrible journée du 9 février 1943 qui a vu 86 personnes arrêtées pour être conduites « d’où on ne revient pas », simplement parce que nées juives.

Depuis de nombreuses années, sous l’impulsion de Jules Zederman ancien résistant, infatigable militant, la tradition était de se réunir, chaque début février devant le n°12 de la rue Sainte Catherine pour  qu’ils ne soient pas oubliés. En 1995 Gilles Buna, alors maire du 1ier arrondissement, a transformé ce rassemblement en une vraie cérémonie républicaine en présence de personnalités et citoyens lyonnais soucieux de voir perdurer dans la mémoire de leur ville et de leurs enfants le souvenir de ce moment tragique de leur histoire.

Au début, c’est devant un simple numéro de rue où une plaque datée mentionnant la rafle que nous nous rassemblions. Mais depuis 2 ans, grâce à l’inlassable travail d’investigation de Serge Klarsfeld  et à la volonté du maire de Lyon et de son adjointe E Haguenauer, une nouvelle plaque a pu être posée.

Cette plaque gravée par les soins d’élèves apprentis graveurs a ainsi inscrit dans la pierre l’identité de chacune de ces 84 victimes et, dans le même temps transmis à ces élèves une part de leur histoire, une part d’eux même.

Aujourd’hui, des élèves de terminale du Lycée Ampère contribuent eux aussi par leur travail personnel et celui de leur professeur à redonner à ces 84 victimes un souffle de vie.

À l’heure où peu à peu s’éteignent les témoins de cette sinistre époque, à l’heure où l’on ressent l’urgence de la transmission, ces initiatives sont sans conteste le plus sûr garant du passage de témoin.

Car c’est maintenant, 70 ans après que se pose de façon aiguë le problème du passage de la mémoire et de sa transcription dans l’histoire.

Il y a d’abord eu après guerre, cette longue période de silence, trop souvent attribuée aux bouches closes des rescapés plutôt qu’à la surdité de la société environnante. Puis  ces bouches se sont peu à peu entrouvertes et les mots se sont libérés dans les livres, les films, les familles, les procès, la société en général.

Nuits et brouillard, le livre d’Anne Frank,  le retentissant procès Eichman, les recherches et la détermination de Serge et Beate Klarsfeld, le film Shoah de Claude Lanzmann, le livre de Paxton sur la France de Vichy ont progressivement ouvert les yeux de tous jusqu’à  trouver un aboutissement dans les déclarations de J Chirac et tout récemment F.Hollande.

Plus nombreux sont aujourd’hui les lieux de mémoire, les musées et monuments qui  témoignent, rendent incontestables les faits, permettent de se recueillir, d’apprendre, de transmettre, de réfléchir et faire réfléchir pour que plus jamais ça !…Ainsi tout récemment inauguré le camp des Milles, et le Mémorial de Drancy visité dernièrement par plus de 30 Imams de France.

La ville de Lyon en est aussi la parfaite illustration.

Pourtant, on voit bien que dans le quotidien, cette mémoire ne se partage toujours pas naturellement.

Ainsi, dans un livre d’histoire de France récent, sur les 9 pages consacrées à la 2ème guerre mondiale, seules 9 lignes sur une demi-colonne sont consacrées aux lois anti juives de Vichy et à la déportation des 75 000 juifs de France.

Dans les guides touristiques sur Lyon, la rue Sainte-Catherine est soit, citée pour ses bars branchés, soit, désignée  comme début de la promenade des traboules de la Croix Rousse. Dans le dictionnaire des rues de Lyon, des évènements des siècles passés survenus dans cette rue sont bien évoqués. Mais pour le 9 février 1943, rien…

La compassion, la course à la victimisation, la concurrence des mémoires, la culpabilisation sont peut-être des entraves au passage harmonieux de ces pages de l’histoire dans l’histoire.

Le terme même de devoir qui implique une obligation morale, s’il peut être très bien vécu par un groupe concerné en tant que victime, ce terme est infiniment moins accepté pour une population autre.

Il y a urgence à passer de la mémoire obligée à la mémoire ressentie !

Il y a urgence, urgence à dire haut et fort que le devoir de mémoire tel que nous l’entendons  n’est pas de la victimologie.

Bien sûr, nous ne voulons pas que les victimes tombent dans l’oubli, mais pour nous, le devoir de mémoire, c’est aussi rappeler qu’en face des bourreaux de la Gestapo et des complices de Vichy, dans cette époque sombre, il y avait des lumières.

Citons par exemple ici à Lyon le groupe de l’Amitié Chrétienne soutenu par le Cardinal Gerlier.

N’oublions jamais le sauvetage des enfants juifs du camp de Vénissieux si bien rapporté par Valérie Perthuis Portheret.

N’oublions jamais l’Abbé Glasberg, le Révérent Père Chaillet, Jean Marie Sautou le pasteur Boegner , la CIMADE et bien d’autres…

N’oublions jamais le Général Robert de Saint Vincent, qui au sommet de la hiérarchie militaire, gouverneur de Lyon, fut renvoyé de son poste pour avoir refusé très fermement à Laval la mise à disposition de ses troupes pour participer à la déportation des juifs lors des rafles d’août 42.

Chers élèves, c’est cela le devoir de mémoire. C’est sortir de l’oubli de l’histoire les victimes réduites en cendre à Auschwitz et les héros dont la vie est trop souvent résumée en quelques lignes dans des livres d’histoires à l’adresse de spécialistes.

Chers élèves, tout ceci n’est pas de la petite histoire, de la petite histoire locale ou individuelle, c’est l’histoire.

Cette année, cela fera 70 ans en juillet, quelques mois seulement après qu’on ait tenté d’anéantir ici, rue Sainte-Catherine, ce petit noyau de résistance qu’était l’UGIF, qu’est né à Villeurbanne, dans la clandestinité le « comité général de défense juive » devenu en1944 le « Conseil Représentatif des israélites de France », ancêtre du CRIF.

 À l’époque, son premier objectif était le sauvetage des juifs réfugiés en France. Aujourd’hui, dans les missions du CRIF, tant au plan national que régional restent majeures  celles de lutter contre le racisme et l’antisémitisme et d’assurer la permanence de la mémoire.

 Ainsi, au sein du CRIF Rhône Alpes, lors de la mandature de Marcel Amsallem président sortant, furent notamment commémorés les 20 ans du procès Barbie.

La lutte contre l’antisémitisme et le négationnisme en tout genre reste de triste actualité.

La résurgence des extrêmes droites au sein même de l’Europe est plus qu’inquiétante, de même que la montée d’un islamisme extrême au sud de la méditerranée, dans le proche et Moyen-Orient.

Chers élèves, vous êtes maintenant vous aussi porteurs de cette mémoire. J’ ai la conviction profonde qu’elle fera de vous des citoyens éclairés, immunisés contre la gangrène de l’antisémitisme et de tous les racismes.

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