Je crois que c’est ici, à Lyon, qu’est née véritablement cette nouvelle relation entre juifs et chrétiens, une relation que nous vivons et approfondissons aujourd’hui en France et qui s’est perpétuée et que nous allons honorer et fêter dans quelques jours (Entre le 27 février et le 2 mars 2011 se tiendra à Paris la réunion de l’International Jewish Committee for Interreligious Consultations (IJCIC). L’IJCIC est le plus important organisme de dialogue entre Juifs et Catholiques dans le monde).
Je voulais le dire, parce que, dans un monde ou les religions peuvent être mortifères, cette relation de compréhension et d’entente, en France notamment, est exceptionnelle et exemplaire. Je voudrais, à cette occasion aussi, rappeler avec émotion la mémoire de Marc Aron. Je n’ai pas pu me rendre à la cérémonie d’inauguration de la place Marc Aron à Lyon, parce qu’elle a eu lieu le 9 février dernier, jour du dîner national du CRIF, mais je voudrais dire que Marc Aron était l’exemple même de l’homme qui s’est engagé dans le dialogue judéo-chrétien et qu’il demeure un exemple que j’essaie de suivre dans ma propre vie.
Ce que je voudrais dire en ce qui concerne le boycott – (s’adressant à Michel Mercier) Monsieur le Garde des Sceaux, nous en avons parlé et votre position est claire la dessus – c’est que sur le plan juridique il n’y a pas de débat, il s’agit bien d’une discrimination vis-à-vis d’un Etat. Discrimination particulièrement IMBECILE, d’ailleurs, parce qu’elle discrimine les producteurs israéliens mais aussi certains producteurs de Gaza dont c’est la seule source de revenu. Contrairement à ce que veulent faire croire les partisans du boycott, les tribunaux l’on reconnu, il n’y a pas « photo », comme on dit. Chaque fois qu’il y a eu un procès, les jugements ont été les mêmes, malgré les tergiversations et les artifices de procédure. La France a une structure légale extrêmement précise sur ce sujet et il serait bon que les autres Etats eussent la même.
C’est une des raisons pour lesquelles nous n’invitons pas à ces dîners du CRIF un certain nombre de partis politiques. Car nous trouvons anormal et profondément choquant – nous nous « indignons », puisque c’est la mode se « s’indigner » – que certains partis fassent la promotion d’actions qui sont illégales, et se faisant, sortent du cadre républicain. Plus encore, ces tentatives de boycott n’ont pas de fin en elles-mêmes, ce sont uniquement des « moyens ». Il est clair que ce n’est pas en empêchant les ventes d’oranges que l’on peut attenter à la sécurité économique d’Israël. Mais c’est en instillant, peu à peu, l’idée qu’Israël est un « Etat paria » et, en quelque sorte, illégitime. Le boycott n’est rien d’autre qu’une arme politique de délégitimation de l’Etat d’Israël. Israël, qui a déjà vécu de nombreux conflits, fait face aujourd’hui à une nouvelle sorte de guerre – une guerre juridique de délégitimation – et il est le seul Etat au monde dont l’existence même est ainsi menacée.
L’antisémitisme existe aujourd’hui en France. Nous en avons publié les dernières statistiques lors du dîner du CRIF national, le 9 février. Je voudrais, sur ce point, rendre hommage aux pouvoirs publics et à leur action ferme et sans faiblesse de prévention des actes antisémites, qui nous permet de pouvoir exercer les traditions de la religion juive en toute sécurité. Malheureusement, aujourd’hui, les synagogues et les centres communautaires de notre pays doivent être protégés. Ils sont protégés. Nous rêvons du moment où ils n’auront plus besoin d’être protégés. Mais il est de fait que c’est actuellement la population juive, toute réduite qu’elle soit, qui est victime du plus grand nombre d’actes racistes. Certes, ce nombre a diminué considérablement par rapport à l’année dernière – parce que 2009 avait été marquée par les conséquences de la guerre à Gaza qui avaient engendré une véritable flambée de ces actes en décembre et en janvier – mais le nombre résiduel d’actes antisémites cette année –environ 400 – est encore beaucoup trop important, bien plus important qu’il ne l’était il y a une quinzaine d’années. Nous sommes dans une situation où s’est constituée une vision du monde dans laquelle l’antisémitisme à sa place – chez les jeunes notamment. Et le travail qui est à faire n’est pas qu’un travail juridique et de répression. C’est un travail de prévention et un travail éducatif, que nous savons extrêmement difficile mais indispensable.
Quelques mots pour préciser la position du CRIF vis-à-vis de d’Israël, sur laquelle bien des critiques sont entendues. L’ambassadeur d’Israël en France va parler après moi et vous expliquera la situation bien mieux que je ne puis le faire, et ce n’est pas mon rôle, en tant que président du CRIF, de vous donner mes opinions sur ce que devrait être la position israélienne. Je suis un citoyen français. Que ces choses soient extrêmement claires. Nous ne sommes pas, contrairement à ce que disent certains, la deuxième ambassade d’Israël en France. Nous avons, cela est tout à fait vrai, une relation affective extrêmement forte avec Israël. Quand je nous, je parle de la très grande majorité des Juifs de France. Il y en a toujours quelques uns qui font profession d’antisionisme. C’est leur affaire. Ils représentent une toute petite minorité.
Ce qui se passe en Israël, ça nous importe. Ca nous importe, parce que nous avons la conscience que nous faisons partie du même peuple que celui des Juifs qui habitent la terre d’Israël. Nous avons les mêmes traditions religieuses, nous avons la même histoire, nous avons les mêmes atteintes et les mêmes persécutions, avec des différences selon les pays dont viennent nos ancêtres, mais l’histoire a fait que l’unité du peuple juif est une unité bien plus grande, quelque soit l’endroit où il se trouve, que celle de bien d’autres peuples dont la place dans ce monde n’est absolument pas discutée. C’est pour cela que pour nous, Israël c’est l’Etat du peuple juif. Je n’utilise jamais le terme d’ « Etat juif », qui n’est pas le terme qu’Herzl a utilisé lorsqu’il a écrit le « Judenstaat ». Cela ne signifie pas « l’Etat juif », mais « l’Etat des Juifs ». Israël est véritablement l’Etat du peuple juif, c’est-à-dire un Etat où ceux qui ne sont pas juifs ont toute leur place.
L’absence de reconnaissance de ce fait, c’est-à-dire qu’Israël est l’Etat du peuple juif, méconnait le fait que la plupart des juifs dans le monde se reconnaissent solidaires et partie prenante de cette longue et, je dirai, honorable histoire, lorsque l’on pense à ce que les Juifs ont apporté à l’humanité.
Dans cette tradition, religieuse, mais pas seulement religieuse, Jérusalem à une place particulière. Il n’est pas de Juifs dans le monde qui n’ait pensé, dans les 25 siècles passés et jusqu’à ce jour, à Jérusalem autrement que comme ce lieu central où se fait la rencontre avec la transcendance. Le nom de Jérusalem revient très souvent dans les prières des Juifs, qu’ils se trouvent en Israël ou bien en dehors d’Israël. C’est pour cela que ce qui se passe à Jérusalem est quelque chose qui nous importe, quelque chose qui n’est pas neutre. Cette ville n’est pas une ville tout à fait habituelle et le lien que cette ville exerce avec le peuple juif est un lien qui n’a pas d’équivalent entre aucune autre ville au monde et aucun autre peuple au monde.
Il existe aujourd’hui des « narratifs » différents du conflit israélo-palestinien. Dans l’une des visions de ce conflit, il suffirait que les négociations s’enclenchent pour que le terrorisme s’arrête et pour que, progressivement, reviennent la paix et la sérénité sur le monde. L’autre vision dit que les sources de ce conflit ne sont pas uniquement locales et conjoncturelles, mais qu’elles sont véritablement existentielles, c’est-à-dire qu’elles sont le refus de reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël par un certain nombre de peuples et de dirigeants du monde arabe.
Qui peut croire aujourd’hui que l’avancée des négociations permettrait à un Ahmadinejad de retirer ce qu’il a dit sur Israël et de dire « C’est un Etat avec lequel nous pouvons vivre » ?
Nous savons très bien que de la part d’Ahmadinejad, de Nassrallah et de quelques autres, il y a un rejet existentiel de l’Etat d’Israël. Et lorsqu’on nous rétorque à nous, juifs de France, que nous n’avons pas à intervenir et à donner notre opinion, nous avons à dire, je pense, qu’il y a la un drame de reconnaissance, un drame existentiel sur l’Etat d’Israël qui est à la source même du conflit. Et lorsque l’on nous reproche encore de nous impliquer, je voudrais répondre que nous ne sommes pas ceux qui ont importé le conflit israélo-arabe en France. Au contraire, nous en avons seulement subi les conséquences. Ce ne sont pas les Juifs qui ont déclenché les violentes manifestations à la suite de ce conflit et il serait quand même tout à fait stupéfiant que monsieur Hessel puisse exprimer son animosité vis-à-vis d’Israël, son indignation extraordinairement sélective vis-à-vis d’Israël, et que moi, Richard Prasquier, et que nous tous, ne puissions pas le faire, parce que notre parole ne devrait pas être prise en compte parce que nous sommes biaisés. Nous avons le droit et je pense que nous avons le devoir de nous exprimer comme tous les citoyens français ont le droit et le devoir de s’exprimer. Et je voudrais dire que l’un de mes souhaits est que l’on arrête de parler uniquement de ce conflit israélo-palestinien, et que l’on commence à s’intéresser, que l’on commence à réfléchir, que l’on commence à s’indigner sur tous ces autres conflits dramatiques dans le monde, qui ont fait tellement plus de victimes, dans l’ignorance, dans le silence le plus total. Je pensais que ces jours-ci, il y a une semaine, l’Eta du Sud Soudan est devenu indépendant, ce qui est une très bonne nouvelle. Cet Etat du Sud Soudan, dans le silence médiatique le plus total, a subi pendant 23 ans une guerre qui a entrainé 2 millions de morts, 4 millions de réfugiés. Presque personne n’en a jamais rien et personne ne s’y est jamais véritablement intéressé. Je crois qu’il y a dans le monde bien des sujets d’indignation, qu’il y a dans le monde bien des drames qu’il faut prendre en compte. Il faut arrêter de focaliser, de stigmatiser et de diaboliser cette seule région du monde.
Photo : D.R.