La nouvelle rubrique « Lire avec le Crif » vous propose des notes de lectures, recensions, entretiens avec des auteurs. Dans ce premier article, un entretien avec Marc Hecker, directeur exécutif de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur de « Daech au pays des merveilles » (Spinelle, 2025). Mêlant fiction et non-fiction, cet ouvrage alerte sur les fragilités de France, exacerbées par la montée des extrêmes.
Le Crif : Marc Hecker, vous êtes chercheur, et avez particulièrement travaillé sur les sujets de terrorisme et de radicalisation.
C'est la toile de fond de votre dernier livre Daech au pays des merveilles (Éditions Spinelle, 2025) dans lequel vous exposez dans une première partie réaliste, les rouages du terrorisme à travers les attentats du groupe « État islamique » qui ont frappé la France et la Belgique cette dernière décennie. Vous rappelez les multiples mesures mises en œuvre en France pour contrer cette spirale, mais qui n'ont pas permis de lutter efficacement contre la radicalisation de certains individus ni d'endiguer le terrorisme sur notre territoire.
Comment expliquez-vous l'échec relatif de ces mesures ?
Marc Hecker : Mon roman – qui mêle fiction et non-fiction – se déroule de 2013 à 2017. La première partie a pour toile de fond le développement des filières djihadistes vers la Syrie, puis les attentats de 2014 à 2016. La première attaque perpétrée par un « revenant » de zone syro-irakienne a été commise par un Français au musée juif de Bruxelles en mai 2014. Puis, il y a eu une intense campagne terroriste en 2015 et 2016. À l’époque, les autorités ont été prises de court et ont cherché des solutions dans l’urgence. Cela s’est traduit par un renforcement considérable de l’arsenal anti-terroriste de la France, que ce soit en termes de moyens humains, techniques ou encore juridiques. Des opérations militaires ont aussi été déclenchées : Serval et Barkhane au Sahel, Chammal au Levant et Sentinelle sur le territoire national.
Vous qualifiez le résultat de ces mesures d’ « échec relatif », mais on peut aussi le voir comme un « succès relatif ». La menace djihadiste, certes, perdure mais son intensité a diminué. Depuis 2017, les attentats sont moins fréquents et leur létalité a beaucoup baissé. Par ailleurs, plusieurs dizaines de projets d’attaques ont été déjoués. Un des facteurs de ce reflux est la destruction du sanctuaire de Daech en zone syro-irakienne.
À l’inverse, une des raisons qui explique la résilience de Daech et d’al-Qaïda est la persistance de l’idéologie salafo-djihadiste. Il est plus facile d’éliminer des hommes et des infrastructures que des idées.
Le Crif : Vous soulignez la force d'attraction que peut exercer Daech auprès de jeunes occidentaux désabusés. Quelles mesures préventives concrètes faudrait-il mettre en place pour réduire cette vulnérabilité ?
Marc Hecker : Les autorités françaises ont compris que pour endiguer la vague terroriste de l’époque, il fallait essayer de lutter contre la radicalisation. En 2018 a par exemple été adopté un Plan national de prévention de la radicalisation. Il serait trop long de résumer tout ce document ici, mais on peut noter que la première partie était dédiée à l’école et au renforcement de l’enseignement des valeurs républicaines. L’école est effectivement devenue l’un des fronts de la lutte contre la radicalisation. Ce n’est sans doute pas un hasard si des enseignants ont été pris pour cible, à l’instar de Samuel Paty et Dominique Bernard.
Pour schématiser, l’approche française de prévention de la radicalisation repose sur le triptyque détection/évaluation/prise en charge. La détection a pris différentes formes, dont la mise en place d’un numéro vert permettant de signaler les cas de radicalisation. Plusieurs dizaines de milliers de signalements ont été effectués. La grande majorité étaient infondés et n’ont pas été transmis aux services spécialisés. L’évaluation permet de mesurer le degré de radicalisation d’une personne et de prendre les mesures appropriées. Les cas les plus sérieux font l’objet d’un suivi par les services de renseignements. Si les éléments sont suffisants, le renseignement peut être judiciarisé. Pour les cas moins sérieux, un accompagnement psycho-social peut être mis en place.
Le Crif : Plus largement comment nos démocraties peuvent-elles lutter efficacement contre ces menaces sans renoncer à leurs libertés fondamentales ?
Marc Hecker : Il n’est effectivement pas simple pour les démocraties libérales de trouver le bon équilibre entre le renforcement des mesures sécuritaires et la préservation des libertés individuelles. En France, le curseur a bougé au cours des dix dernières années. La période de l’état d’urgence a par exemple vu la mise en place de perquisitions administratives et d’assignations à résidence. Quand l’état d’urgence a pris fin, ces mesures ont été adaptées pour pouvoir être intégrées dans le « droit commun ». Depuis les attentats de 2015, le Conseil constitutionnel est intervenu à plusieurs reprises pour censurer des dispositions législatives qu’il jugeait excessives. Par exemple, le fait de sanctionner le téléchargement de propagande djihadiste a été censuré à deux reprises. Plus largement, les mesures liées à la surveillance d’Internet ont suscité des débats.
Le Crif : Vous envisagez dans la suite de votre livre, la réaction de l'ultra-droite avec actions violentes et attentats. De par votre observation de l'extrême droite française, quelle pourrait être selon vous sa stratégie et ses modes opératoires dans les années à venir ?
Marc Hecker : Les autorités françaises distinguent généralement l’ultra-droite de l’extrême droite : la première est groupusculaire et opte pour des modes opératoires violents ; la seconde appartient au champ plus classique de la politique, notamment en participant à des élections. La violence de l’ultra-droite peut prendre différentes formes selon les groupuscules considérés : dégradation de biens, intimidation, ratonnades, ou encore terrorisme. En France, le Parquet national antiterroriste a ouvert une vingtaine d’enquêtes liées à l’ultra-droite. Il s’agit de la deuxième menace terroriste après le djihadisme.
Dans Daech au pays des merveilles, le scénario que je développe est celui d’attentats perpétrés par la mouvance dite « accélérationniste ». Ces individus pensent que le « grand remplacement » est en cours et qu’il faut déclencher une « guerre civile raciale » tant que les blancs chrétiens sont majoritaires. Si cette guerre civile ne survient pas rapidement, le résultat sera la soumission aux envahisseurs. Cette théorie accélérationniste a nourri plusieurs projets d’attentats (déjoués) en France au cours des dernières années. Les musulmans étaient souvent les cibles principales, mais parfois aussi la communauté juive.
Le Crif : Au final, la mouvance islamiste d'un côté et la riposte de l'ultra-droite de l'autre risquent d'entraîner une déstabilisation de notre société. Quelle réponse apporter ?
Marc Hecker : La première réponse face à la menace terroriste – qu’elle vienne des djihadistes, de l’ultra-droite ou d’autres mouvances – est sécuritaire. La France dispose de moyens importants dans ce domaine et son savoir-faire est reconnu internationalement. Cela étant, aucun système anti-terroriste n’est infaillible, surtout quand la menace prend la forme d’individus agissant seuls avec des moyens rudimentaires (couteaux, véhicules-béliers).
La deuxième réponse est préventive – nous en avons déjà parlé au début de cet entretien.
La troisième réponse est liée au désengagement des personnes considérées comme radicalisées. Des programmes spécifiques ont été développés en France, avec des travailleurs sociaux, des psychologues et des « médiateurs du fait religieux ».
Dans Daech au pays des merveilles, je montre qu’il est relativement plus simple de lutter contre le terrorisme que contre la radicalisation. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné le Directeur général de la sécurité intérieure lors d’une audition parlementaire en 2016.
Le Crif : Quelle est votre vision de l'avenir politique sur notre territoire ?
Marc Hecker : La polarisation croissante de la société française – phénomène que l’on observe également dans d’autres pays – me paraît inquiétante. Politiquement, elle fait le jeu des extrêmes. Je ne me risquerai pas à prédire le résultat de la prochaine élection présidentielle : 2027 est encore loin. Mais on voit bien que depuis un quart de siècle, l’extrême droite a fortement progressé.
Propos recueillis par Martine Boccara
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