Cette année, Yonathan Arfi a souhaité faire de l’éducation un sujet prioritaire pour le Crif. En effet, un constat lucide de la situation, sombre à bien des égards, s’avère insuffisant s’il ne permet pas d’ouvrir de nouvelles perspectives. La résurgence actuelle de l’antisémitisme, parfois sous de nouvelles formes, suscite une inquiétude bien légitime ; il faut toutefois se refuser à sombrer dans un fatalisme obscurcissant l’avenir et les possibilités d’agir sur lui. L’éducation des jeunes générations est sans doute le plus important des leviers d’action à privilégier. Elle se trouve cependant confrontée, comme en témoigne l’ensemble des textes que nous avons recueillis, à des problématiques complexes et inédites.
En revenir à la question cruciale de l’éducation, c’est aussi une manière de rendre hommage à la tradition juive et à la place centrale qu’elle accorde à l’étude, nous rappelant qu’à travers la transmission du savoir et des valeurs, c’est la pérennité d’une filiation, d’une appartenance commune qui est en jeu.
C’est à cet effet que nous avons demandé à plusieurs intellectuels et acteurs du monde de l’éducation de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle. Si les textes publiés ici n’engagent pas la responsabilité du Crif, ils permettent cependant d’ouvrir un espace de débat et de réflexion. Ils sont traversés par le souci d’interroger et de comprendre la situation des nouvelles générations, les problématiques liées à la transmission de la mémoire et de l’histoire juive, ainsi que les défis et enjeux qui agitent aujourd’hui, dans notre France républicaine, le milieu de l’enseignement (laïcité, usages du numérique et des réseaux sociaux, wokisme…).
Le Crif remercie les contributeurs de cette revue d’enrichir ainsi notre réflexion.
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« Si comprendre est impossible, connaître est nécessaire » [1]
La transmission de la mémoire de la Shoah est un impératif moral ! C’est ce que n’a cessé de rappeler Jean-Paul II durant tout son pontificat. Pour cette raison, il encouragea la publication, en 1998, d’un important document intitulé « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah ». Dans ce texte, est souligné que le XXème siècle « a été le témoin d’une tragédie indicible et qui ne pourra jamais être oubliée : la tentative de la part du régime nazi d’exterminer le peuple juif, entraînant le massacre de millions de juifs. Femmes et hommes, personnes âgées et jeunes, enfants et nourrissons, furent persécutés et déportés uniquement en raison de leur origine juive. […] C’était la Shoah. Il s’agit de l’un des événements les plus importants de l’histoire, un événement qui nous concerne tous aujourd’hui encore. […] L’avenir commun des juifs et des chrétiens exige que nous nous rappelions, car « il n’y a pas d’avenir sans mémoire. L’histoire elle-même est la memoria futuri ».
À l’occasion de la commémoration des arrestations et des déportations massives de Juifs durant l’été 1942, la Conférence des évêques de France, en partenariat avec le Comité français pour Yad Vashem, a souhaité, par une exposition, rendre hommage aux Français reconnus « Justes parmi les Nations ». Ces hommes et ces femmes furent des « lumières dans la nuit de la Shoah ». Parmi eux, entre autres, des chrétiens, dont des évêques, lesquels contribuèrent puissamment à une prise de conscience face à la persécution dont étaient victimes les Juifs.
Cette exposition, intitulée « Du cri du cœur à la voix des Justes » [2], qui a vocation à circuler dans les diocèses, se veut d’abord un outil à la fois simple et complet pour permettre aux enseignants et éducateurs d’aider les jeunes générations à connaître et comprendre les effroyables mécanismes génocidaires qui conduisirent à la mort de six millions de Juifs, et comment des hommes et des femmes, en laissant parler leur conscience, contribuèrent à sauver des Juifs. Or, comme dit le Talmud, « qui sauve une vie, sauve l’humanité entière ».
Pour la Conférence des évêques de France, il était essentiel de concevoir et de réaliser cette exposition en partenariat avec le Comité français pour Yad Vashem. À la fois en raison de l’expertise de ses équipes, mais également parce qu’il est, dans notre pays, le relais de l’Institut international pour la mémoire de la Shoah-Yad Vashem, situé à Jérusalem. Des panneaux présentent la mission de cet Institut.
Un autre rappelle que le 30 septembre 1997, à Drancy, les évêques des diocèses où il y eut des camps d’internement reconnaissaient, officiellement et publiquement, que devant l’ampleur du crime nazi trop de pasteurs de l’Église catholique s’étaient tus. Cette parole de repentance, qui fut saluée par le Grand rabbin de France de l’époque, Joseph Sitruk, comme « un nouvel élan pour le dialogue entre nos deux religions », permet aujourd’hui de rendre hommage, ensemble, à quelques-uns des chrétiens qui ont été reconnus « Justes parmi les Nations ».
Grâce à cette exposition, sont présentées des personnalités connues ainsi que des visages restés longtemps dans l’anonymat. Grâce à des QR codes, il est possible d’entendre des témoignages de rescapés et de Justes, ainsi que la lecture des lettres pastorales qui dénonçaient les exactions nazies et exhortaient à la solidarité.
Lors de son inauguration à la Maison des évêques, avenue de Breteuil, en présence du Grand rabbin de France Haïm Korsia, de M. Pierre-François Veil, président du Comité français de Yad Vashem et de M. Christophe Kerrero, recteur de l’Académie de Paris et de la région académique Île-de-France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort a rappelé que cette exposition s’adresse avant tout à la jeunesse. « Elle est nécessaire à la jeunesse. Nous voulons la faire circuler dans les diocèses et, en priorité, dans les établissements de l’enseignement catholique. Il est banal de dire que nous vivons des temps d’incertitude. Dans ces temps d’interrogations en tous sens, dans ces temps où l’accès à la connaissance se modifie à grands pas, il est capital que nous, aujourd’hui en responsabilité dans la société, aidions les jeunes et les enfants à intégrer la mémoire de l’histoire terrible de la Shoah. Il est capital que nous leur montrions qu’il est possible de ne pas agir comme on nous le prescrit, lorsque ce qui est prescrit offense l’humanité, qu’il est possible de choisir le bien et de ne pas prêter la main au mal, qu’il appartient à l’essence de l’humain que chacun assume la responsabilité de ses actes et s’interroge sur leur sens. Il est capital de les aider à comprendre le caractère singulier de la Shoah. »
Le Président de la Conférence des évêques de France concluait son propos en rappelant la remise, le 1er février 2021, d’une déclaration exhortant à lutter ensemble contre l’antisémitisme : « Guérir les esprits et les cœurs de toute trace d’antisémitisme et d’antijudaïsme est et sera la pierre de touche du chemin vers une véritable fraternité universelle ».
En effet, devant la recrudescence de l’antisémitisme dans toute l’Europe, qui prospère sur « le terreau de l’indifférence égoïste », le pape François a lancé, en janvier 2022, un solennel avertissement : « Sans mémoire nous anéantissons le futur ».
Tel est, précisément, le double objectif de cette exposition. Contribuer, auprès des jeunes générations, à la transmission de la mémoire de la Shoah et les sensibiliser aux enjeux de la liberté de conscience, car là réside la dignité humaine.
Père Christophe Le Sourt, Directeur du Service national pour les relations avec le judaïsme de l’Église de France
Notes :
[1] Primo Levi, Si c’est un homme
[2] Vidéo de présentation de l'exposition « Du cri à la voix des Justes »
Cet article a été rédigé dans le cadre de la parution de la revue annuelle du Crif. Nous remercions son auteur.
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