Cette année, Yonathan Arfi a souhaité faire de l’éducation un sujet prioritaire pour le Crif. En effet, un constat lucide de la situation, sombre à bien des égards, s’avère insuffisant s’il ne permet pas d’ouvrir de nouvelles perspectives. La résurgence actuelle de l’antisémitisme, parfois sous de nouvelles formes, suscite une inquiétude bien légitime ; il faut toutefois se refuser à sombrer dans un fatalisme obscurcissant l’avenir et les possibilités d’agir sur lui. L’éducation des jeunes générations est sans doute le plus important des leviers d’action à privilégier. Elle se trouve cependant confrontée, comme en témoigne l’ensemble des textes que nous avons recueillis, à des problématiques complexes et inédites.
En revenir à la question cruciale de l’éducation, c’est aussi une manière de rendre hommage à la tradition juive et à la place centrale qu’elle accorde à l’étude, nous rappelant qu’à travers la transmission du savoir et des valeurs, c’est la pérennité d’une filiation, d’une appartenance commune qui est en jeu.
C’est à cet effet que nous avons demandé à plusieurs intellectuels et acteurs du monde de l’éducation de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle. Si les textes publiés ici n’engagent pas la responsabilité du Crif, ils permettent cependant d’ouvrir un espace de débat et de réflexion. Ils sont traversés par le souci d’interroger et de comprendre la situation des nouvelles générations, les problématiques liées à la transmission de la mémoire et de l’histoire juive, ainsi que les défis et enjeux qui agitent aujourd’hui, dans notre France républicaine, le milieu de l’enseignement (laïcité, usages du numérique et des réseaux sociaux, wokisme…).
Le Crif remercie les contributeurs de cette revue d’enrichir ainsi notre réflexion.
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Était-ce plus facile d’éduquer un enfant avant ? Quand les SMS n’avaient pas bouleversé l’orthographe, quand l’attention des enfants n’était pas accaparée par des téléphones omniprésents, quand ils n’étaient pas influencés par les stars de la télé-réalité ou des réseaux sociaux, quand ils passaient leurs mercredis avec leurs amis, quand ils se divertissaient devant Récré A2… En tout état de cause, l’ère numérique se caractérise par une surabondance d’outils, de ressources, d’informations (l’infobésité) et de sollicitations dans laquelle tout un chacun, et plus particulièrement chacun de nos enfants, peut se perdre et se fourvoyer.
Rappelons-nous que notre société est à la fois l’héritière de la contre-culture des années 60, de l'opposition au système et à la verticalité, de l’individualisme forcené, mais aussi de la société du spectacle qui a atteint son paroxysme avec la télé-réalité et l’émergence des réseaux sociaux au début des années 2000. Nous portons en nous les germes de la discorde, de l’absence de cohésion et de la méfiance envers les institutions. La viralité algorithmique des propos et contenus clivants, nourris et amplifiés par nos réactions émotionnelles et par notre mortifère tendance à ne pas prendre assez de temps avant de répondre ou de relayer, le modèle économique des plateformes fondé sur l’économie de l’attention, le dévoiement de la liberté d’expression, la trop grande impunité des lâches qui pensent être à l’abri derrière un pseudo, l’apparente facilité offerte par Internet pour répondre à toutes les interrogations et le confort, en tant que parent, de pouvoir souffler lorsque nos enfants sont devant ces écrans ; tout cela a fini de sceller notre sort et notre dépendance parfois naïve et souvent passive à l’égard de ces magnifiques outils. Car nous devons convenir que ces outils sont formidables et qu’ils nous facilitent la vie. Ayons conscience que les réseaux sociaux, s’ils sont le poison de nos démocraties à cause de l’expression sans retenue d’opinions, demeurent le cauchemar des dictatures. Souvenons-nous qu’ils ont aussi permis la libération de la parole de nombreuses victimes, même si les procès médiatiques ont parfois pris le pas sur la justice des hommes et, par conséquent, sur notre état de droit. Rappelons-nous aussi que nous avons tous accès à des interactions sociales parfois inespérées, aux divertissements les plus variés et à des savoirs académiques incommensurables.
Profusion de l'information et apparence de facilité prendront encore plus d’ampleur avec le développement des Intelligences Artificielles (IA) : par exemple, Chat GPT3, l’IA disponible gratuitement sur le site OpenAI peut à la fois vous rédiger un poème, écrire des lignes de code ou disserter sur n’importe quel sujet. Les résultats proposés comportent de l’information, presque du raisonnement et une prudence dans la rédaction. Lui manque néanmoins un point de vue ! Les résultats obtenus par cette IA doivent plutôt être perçus comme un travail préparatoire, ̶ non pas comme une fin en soi. À quoi bon toutes ces connaissances disponibles aisément sur Internet si nous ne savons pas les trouver, les classer, les vérifier ou les hiérarchiser ? Si elles ne sont pas mises au profit de valeurs qui nous lient ? Si elles ne nous permettent pas de combattre les détracteurs de nos sociétés modernes, qui tentent d’en miner les fondements en attisant les haines, en propageant des mensonges ou des théories farfelues et complotistes qui nous dressent les uns contre les autres ?
Dans ce contexte, quel est notre rôle de parents ? Faut-il s’assurer que nos enfants connaissent parfaitement leurs tables de multiplication, apprennent leurs déclinaisons ou aient compris le théorème de Pythagore… ? Même si l’accumulation de savoirs reste insuffisante dans le monde actuel, pour conduire nos enfants à devenir des citoyens libres et éclairés qui auront intégré les valeurs républicaines et humanistes héritées des Lumières, nous devons aussi et surtout orienter l’éducation que nous leur offrons vers l’analyse critique, la recherche méthodique, la vigilance et le respect des valeurs républicaines.
L’exercice de l’esprit critique reste à mes yeux l’alpha et l’oméga d’une éducation citoyenne : il ne faut pas croire tout ce qu’on trouve sur Internet. Nous devons aider nos enfants à comprendre le contexte, à identifier les sources, à décrypter les messages ou les images, à savoir utiliser Internet pour remettre en question ce qu’ils ont tendance à croire, à prendre conscience de leurs propres préjugés, à se libérer des injonctions auxquelles ils sont soumis, à comprendre l’importance de prendre son temps, à intégrer que la loi s’applique partout (hors ligne ET en ligne), à maîtriser l'environnement technique (le fonctionnement et les biais des algorithmes) et, en définitive, à pouvoir s’adapter à un monde complexe et mouvant.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas parce que nous n'utilisons pas les mêmes applications ou plateformes que nos enfants que nous n’avons pas un rôle central à jouer. Au contraire, nos différences constituent une opportunité. Pendant que nous les éclairerons sur leurs comportements quotidiens, laissons-les nous guider pour mieux comprendre les subtilités de leurs mondes numériques. Construisons avec eux les règles d’une meilleure utilisation familiale d’Internet et des réseaux sociaux, en se fondant, par exemple, sur tous les conseils que nous leur donnons dans leur vie quotidienne. Même s’ils maîtrisent leur portable, notre expérience de la vie, notre recul, notre esprit critique et notre respect des valeurs citoyennes leur sont indispensables pour qu’ils prennent la mesure de la vie, de ses risques, de ses enjeux, mais aussi de leurs droits et de leurs responsabilités : « l'esprit n'est pas comme un vase qui a besoin d'être rempli ; c'est plutôt une substance qu'il s'agit seulement d'échauffer ; il faut inspirer à cet esprit une ardeur d'investigation qui le pousse vigoureusement à la recherche de la vérité » (Plutarque).
Cyril Di Palma, Délégué général de l'Association Génération Numérique
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