Le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Eric Besson, a officiellement lancé le 2 novembre « le grand débat sur l’identité nationale ». Un site Internet dédié – www.debatidentitenationale.fr – est déjà en ligne. Les échanges se dérouleront « jusqu’au 31 janvier », a annoncé le ministère, et seront organisés par les préfectures et sous-préfectures. Une synthèse générale sera présentée le 4 février. Les députés ont déjà été mis à contribution et lanceront « dans toute la France des réunions de circonscription avec les Français », a précisé le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé. L’autre grand thème sera l’apport de l’immigration à l’identité nationale. Les participants débattront notamment de la mise en place d’un « contrat d’intégration républicaine » ou d’un « parrainage républicain » pour les « étrangers entrant et séjournant » sur le territoire français et « d’un contrat avec la Nation » ou « d’une cérémonie plus solennelle » lors de toute accession à la nationalité française.
D’après un sondage publié par Le Parisien – Aujourd’hui en France le 1er novembre 2009, la question de l’identité nationale concerne la majorité habitants de la France : 60% des personnes interrogées estiment qu’en débattre est une « bonne chose », toutes générations confondues. Cependant, cette initiative ne suscite pas l’enthousiasme du président du MoDem François Bayrou qui estime que l’identité nationale est « comme l’histoire, qu’il n’appartient pas aux politiques de l’accaparer ». Pour sa part, la Première secrétaire du parti socialiste Martine Aubry, a indiqué que le débat sur l’identité nationale tel que proposé par le ministre de l’Immigration Eric Besson, était « malsain. » Elle a déclaré que son parti n’y participerait pas. «Nous pensons que l’identité de la France n’est pas ethnique, pas religieuse, pas culturelle» mais «c’est l’appartenance à des valeurs communes», a cependant affirmé Martine Aubry.
Le CRIF a décidé d’interroger plusieurs personnalités. Un autre regard croisé sur ce thème suivra bientôt.
Question 1: Personnellement, pensez-vous que l’identité nationale est l’affaire de tous et qu’un tel débat est nécessaire ?
Michel Wievorkia, sociologue : En 1986, le Premier ministre Jacques Chirac constatant d’importantes tensions autour de cet enjeu, avait mis en place une commission à laquelle participaient de grands esprits : l’historien Pierre Chaunu, la sociologue Dominique Schnapper, son confrère Alain Touraine…. L’objectif était clair : calmer le jeu. Aujourd’hui, les tensions sur cet enjeu sont beaucoup moins vives et si l’identité nationale mérite réflexion, analyse, discussion, je trouve que le débat proposé est mal engagé.
Théo Klein, avocat, ancien président du CRIF : Je serais tenté de répondre que le débat auquel votre question se réfère est à peine moins vaste que celui concernant le sexe des anges. Ouvrir un débat aussi vaste, c’est vouloir entraîner ceux qui y participent dans une bien heureuse confusion, dont ceux qui le proposent pourront tirer les conclusions qu’ils souhaitent : c’est une insulte au bon sens et un piège.
Florence Taubmann, Pasteur, Présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de France : Je ne sais pas s’il est nécessaire mais je crois qu’il peut être très intéressant, dans la mesure où tout débat nous oblige à exprimer des questions et donc à remettre en question des présupposés. A première vue les mots « identité, nationale », font peur car ils ressortissent d’un thème cher à l’extrême-droite. Mais en débattre oblige à regarder l’histoire, la géographie, la démographie, la culture de notre pays…et à essayer de nous situer aujourd’hui, dans un contexte européen et mondialisé. Le débat peut donc permettre à chacun de mesurer qu’il ne saurait y avoir d’identité nationale sans accueil de l’altérité, à tous les niveaux. Les idées, les pensées, les valeurs, les langues, les rites religieux et autres sont toujours les fruits d’un brassage originel. Il n’y a jamais d’origine « pure » et tant mieux. Donc oui je suis pour le débat, un débat instruit par un minimum de connaissances et d’informations. Car ce ne peut être un simple débat d’opinions où les passions des uns et des autres s’entrechoqueraient pour imposer une définition. Le débat ne doit surtout pas aboutir à une définition précise. Car l’identité, nationale ou autre, doit rester ouverte pour rester vivante.
Michèle Tribalat, démographe : L’identité nationale a déjà été abordée lors de l’élection présidentielle, puis abandonnée. Elle revient sur le devant de la scène à la veille des élections régionales et dans six mois, on n’en parlera plus. Si l’identité nationale concerne chacun d’entre nous, nous aimerions connaître les doctrines politiques de ceux qui nous gouvernent et des partis d’opposition et la philosophie de l’intégration qui va avec. Comment concilient-ils ces doctrines avec les engagements pris par ailleurs au niveau européen, et notamment lors du conseil européen du 19 novembre 2004 dans lequel ont été définis les onze principes de base communs en matière d’intégration ?
David-Olivier Kaminski, avocat de la LICRA et membre du comité directeur du CRIF : L’identité nationale concerne chacune et chacun d’entre nous de manière personnelle, voire intime. En même temps, c’est au travers le destin collectif d’une nation qu’elle se forge autour de valeurs communes, de symboles partagés par tous. Pour certains l’identité nationale est l’histoire de France, la philosophie du siècle des lumières, l’équipe de France de football championne du monde en 1998, l’art de vivre à la française…Le débat qui est ouvert ne m’apparaît pas d’une nécessité vitale pour notre société. Cependant il aura peut être le mérite de dépoussiérer certaines de nos vieilles valeurs républicaines.
Michel Zaoui, avocat, membre du bureau exécutif du CRIF : Oui, mais la façon dont la question est posée relève de l’instrumentalisation politique et non d’un débat citoyen. Malheureusement, la porte a été ouverte par des déclarations de responsables politiques qui pensent que le débat participatif doit passer par-dessus le véritable débat entre des politiques qui prennent le temps de la réflexion. On parle du « train de sénateurs », voilà une question dont les solutions doivent être longuement débattues et réfléchies. Le danger d’une réponse rapide ou trop rapide est d’être catalogué à droite ou à gauche. En outre, lorsque l’on est Juif, cela complique la réflexion.
Robert Redeker, professeur de philosophie : Ce débat est omniprésent dans l’histoire moderne de la France, celle dont la révolution a été l’ébranlement. Articuler le fait d’être français à l’homme posé comme universel a été l’une des grandes questions de la révolution. L’enquête, à cette époque, de l’abbé Grégoire sur les « patois » est aussi hantée par cette question. Le problème de l’Alsace et de la Lorraine exacerbe après 1870 le débat. Songeons à la culture revancharde de ce temps, qui est aussi la haute époque de la République. Le moment de l’Affaire Dreyfus a été un moment de grande intensification de cette question. Barrès, Péguy, Jaurès, tout le monde à l’occasion de l’Affaire s’exprime sur cette question. La violence du langage de Barrès en est un excellent témoignage. Cette fois-ci le débat est formalisé, encadré, mais il n’a rien de fondamentalement nouveau, il accompagne la vie politique française depuis plus de deux siècles. De plus, rien n’est plus normal qu’un peuple pose la question de son centre et de ses limites, cherche à se définir et à se circonscrire. Cette question constitue le moment philosophique – le retour sur soi – de la vie collective.
Jean-Pierre Allali, membre du bureau exécutif du CRIF, ancien professeur de mathématiques : Nous vivons à l’ère de la mondialisation. Les repères traditionnels ont tendance à exploser. Dès lors, en tant que citoyens français, nous sommes placés face à un choix : soit nous fondre dans une masse européenne voire planétaire totalement uniformisée, soit, pour nous, pour nos enfants et pour nos descendants, être animés par le désir profond de conserver et de transmettre les valeurs et la civilisation que nous avons forgées au cours des siècles : une langue, un territoire, une histoire commune, une République laïque respectueuse des différences. J’opte, pour ma part, pour la seconde voie. Il semblerait que cela ne soit pas l’avis de tous. Pour certains, se dire « Français » aujourd’hui serait ringard et passéiste. Il n’y a qu’un moyen d’y voir clair : mettons tous nos cartes sur la table, discutons, argumentons. Oui, l’identité nationale est l’affaire de tous et le débat est nécessaire.
Ara Toranian, Directeur de Nouvelles d’Arménie Magazine : Il n’y a pas de bons ou de mauvais débats en soi. La question est de savoir à quel besoin répond un débat. S’il s’inscrit dans une perspective d’ouverture ou de repli. Le fait que ce type de questionnement officiel soit parachuté aussi artificiellement, en plein marasme économico-financier, ne me paraît pas anodin. Ni très sain. Les problèmes économiques ou sociétaux du pays (racisme, antisémitisme, insécurité etc.) se réduisent-ils à l’identité française ?
Gérard Fellous, Secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (1986-2006). Expert du Haut commissariat pour les droits de l’homme des Nations unies : L’opportunité politique de la question est entachée de suspicion : Elle semble instrumentalisée afin d’être confondue avec des problèmes liés à l’immigration, aux difficultés rencontrées par la politique de l’intégration, ou à la récupération de thèmes de l’extrême-droite française. Le thème de l’identité nationale ne peut être sujet à controverses c’est-à-dire à opinions contradictoires menaçant l’unité de la Nation. La définition de l’identité nationale, issue de l’Histoire, de la culture et des valeurs constitutives de la France, n’appartient à aucun parti politique, à aucune philosophie ou religion, à aucune minorité, mais constitue le bien commun, fruit d’un consensus construit progressivement. Elle se maintient par une adhésion volontaire. Enfin, l’identité nationale française, pas plus que celle d’autre pays, n’est nullement menacée aujourd’hui, ni de l’intérieur, ni par l’Union européenne ou par la mondialisation.
Question 2: Que répondriez-vous à la question posée par le ministère de l’Identité nationale : « Qu’est-ce qu’être Français ? » Et, quelles sont selon vous les valeurs véhiculées par votre nationalité ?
Michel Wieviorkia : Le fait de poser cette question introduit le doute, le soupçon et vise à dessiner un périmètre qui risque fort d’exclure certains de ceux qui ne correspondraient pas aux critères proposés. Staline en son temps avait proposé des critères pour définir la nationalité, les Français n’ont pas besoin de ce type de critère(s) pour se sentir Français.
Théo Klein : Quant à la question de savoir « qui est français » ou « qu’est-ce qu’être français », la réponse est tout d’abord très simple : il faut être de nationalité française par naissance, ou par naturalisation, ou par tout autre moyen éventuel prévu par la loi. Il n’y a pas d’autre définition possible du caractère de « Français ».
Quelques réponses adjacentes peuvent être données : La France, comme toute nation, possède ses lois propres que le Français, comme l’étranger résidant sur son territoire, doit respecter. Ses lois émanent des autorités prévues par la loi et, généralement, dans les nations modernes et démocratiques, dans le cadre d’une loi constitutionnelle. Seule la loi pourrait soumettre la qualité de « Français » à d’autres conditions. Il peut y avoir en France, comme dans tout autre pays, un débat national sur l’éventuelle identité culturelle, religieuse, ou spirituelle de la nation : en France, ces débats sont, souvent, exclus puisque la laïcité rejette toute contrainte religieuse et que la liberté d’association permet un libre partage et, donc, une liberté d’expression totale. Pour le reste, il existe une histoire de France aussi incertaine que toutes les histoires, mais pouvant donner lieu à des interprétations plus sensibles, telles que celle de considérer que la France est vouée à un régime républicain – ce qui n’a pas toujours été le cas – et pourrait demain, par la volonté librement et démocratiquement exprimée du peuple, être modifié. Ceci est également valable pour la forme d’organisation démocratique de l’État qui s’est, d’ailleurs, trouvée abolie, entre 1940 et 1944, par le rejet de la République et l’établissement de « l’État français ». J’ajouterais simplement qu’il existe, dans tout État bien organisé, des systèmes d’expression de la volonté nationale à travers la volonté et le choix individuel des citoyens et que ces formes sont généralement considérées comme les seules permettant à la nation de conserver son caractère.
Dans ces conditions, une interrogation générale comme celle qui est envisagée ne peut qu’entraîner que des mouvements d’humeur et des exploitations éventuelles de celle-ci.
Florence Taubmann : Je ne vis pas ma nationalité comme une identité, mais plutôt comme un héritage et une vocation. Pour évoquer mon cas personnel je suis bretonne, et j’ai gardé quelque chose du mysticisme breton. Mais ma culture n’est pas bretonne. Elle est liée à la langue française. C’est dans cette langue que j’ai découvert la littérature aussi bien étrangère que française. C’est dans cette langue que j’ai reçu les enseignements qui ont été fondateurs pour moi, c’est dans cette langue que j’exprime ce que je pense. Donc la langue est essentielle. Mais être français, s’inscrire dans l’histoire de ce pays –quel que soit le moment où on débarque dans cette histoire, c’est aussi recevoir une vocation politique et éthique marquée par l’humanisme. L’histoire de la France a été houleuse depuis ses commencements, elle a connu des périodes terribles, des haines puissantes, des désastres…mais je crois qu’en profondeur, l’identité nationale de ce pays est liée à la question de l’humanisme …Nous avons un héritage humaniste – enfant de la théologie et de la philosophie , qui n’a pas encore tenu toutes ses promesses ni porté tous ses fruits …Cela signifie donc que nous n’avons aucun âge d’or à regretter, mais au contraire que nous avons du travail devant nous pour approfondir et développer cet humanisme et ses valeurs de respect et d’accueil de tout homme, de dignité et de partage pour tous, de justice et de miséricorde envers les plus faibles …
Michèle Tribalat : Cela m’agace beaucoup d’avoir à répondre à cette question. Mon autorité, limitée à un domaine scientifique particulier, ne s’étend pas au-delà. Je n’ai pas envie de claironner mon petit couplet dans le cadre de ce débat, dont j’espère réussir à me tenir à distance. Le sujet est trop sérieux pour être envisagé comme un moment passager de la communication politique, qui n’obligerait ensuite personne.
David-Olivier Kaminski : Les valeurs de la citoyenneté française sont à mes yeux : ‘ Liberté, Egalité Fraternité’ Etre français, c’est porter l’héritage d’une nation à l’histoire dense et exceptionnelle. C’est considérer que la diversité, loin de nous léser ne peut que nous enrichir.
Michel Zaoui : J’ai en tête ce qu’a dit Martine Aubry à propos des valeurs. La République n’est pas culturelle, ni cultuelle, ni ethnique. La République, c’est d’abord la volonté de vivre ensemble et de reconnaître l’autre comme quelqu’un avec qui on peut avoir envie de vivre.
Jean-Pierre Allali : Je peux parler de ce sujet avec la plus grande aisance parce que je ne suis pas né français. Pourtant, dès ma plus tendre enfance, j’ai baigné, grâce à l’école française, dans la langue et dans la civilisation française. Le jour où j’ai obtenu la nationalité française a été l’un des plus beaux de ma vie. Être français, c’est, sans pour autant renier la part de particularisme que chacun possède au fond de soi, être fier des grands moments de notre histoire nationale, de nos grands écrivains, de nos grands penseurs, de nos grands savants, c’est avoir le cœur qui se noue quand retentit La Marseillaise. Liberté, Egalité, Fraternité, plus que jamais.
Robert Redecker : Ce débat est omniprésent dans l’histoire moderne de la France, celle dont la révolution a été l’ébranlement. Articuler le fait d’être français à l’homme posé comme universel a été l’une des grandes questions de la révolution. L’enquête, à cette époque, de l’abbé Grégoire sur les « patois » est aussi hantée par cette question. Le problème de l’Alsace et de la Lorraine exacerbe après 1870 le débat. Songeons à la culture revancharde de ce temps, qui est aussi la haute époque de la République. Le moment de l’Affaire Dreyfus a été un moment de grande intensification de cette question. Barrès, Péguy, Jaurès, tout le monde à l’occasion de l’Affaire s’exprime sur cette question. La violence du langage de Barrès en est un excellent témoignage. Cette fois-ci le débat est formalisé, encadré, mais il n’a rien de fondamentalement nouveau, il accompagne la vie politique française depuis plus de deux siècles. De plus, rien n’est plus normal qu’un peuple pose la question de son centre et de ses limites, cherche à se définir et à se circonscrire. Cette question constitue le moment philosophique – le retour sur soi – de la vie collective.
Ara Toranian : Je pensais peut-être naïvement jusqu’alors qu’être Français, c’était « avoir » la nationalité française avec tout ce que ça implique comme droits et devoirs légaux. L’identité doit-elle aller au-delà de la « carte d’identité » ? Cela me parait dangereux et complexe. Une chose est sûre, on ressent aujourd’hui que la France a besoin de se faire davantage aimer de ceux qui la composent. Mais le patriotisme, c’est un peu comme l’amour : ça ne se commande pas. Alors, comment faire ? Peut être commencer par promouvoir le sens du bien commun, du bien vivre ensemble, de la fraternité, de la tolérance, du respect d’autrui : autant de valeurs qui dessinent les contours d’une identité avec laquelle on se sentirait bien. Et avec laquelle je pourrais me demander « qu’est-ce que l’identité arménienne en France », sans qu’on me regarde comme un OVNI…
Gérard Fellous : L’identité française s’est constituée, au fil des siècles, d’une part de valeurs appartenant conjointement à la famille des démocraties dans le monde, d’autre part de valeurs universelles que la France a porté en son sein et qu’elle a su diffuser, telles que les droits de l’homme, la laïcité ou le triptyque « liberté-égalité-fraternité » ; et enfin de valeurs propres à son terroir , à son histoire singulière, à sa culture séculaire et à ses paysages, qui font que vivre en France ne peut être confondu avec nul autre pays dans le monde. C’est ce qu’ont compris les nombreuses vagues d’immigrants devenus Français à part entière, parmi lesquels les Juifs venus d’Europe centrale ou des pays arabes, qui s’y sont intégrés par adhésion. Enfin l’identité française est le socle d’une citoyenneté française composée, de manière complexe et riche, de la nationalité française, mais aussi de l’appartenance européenne et de l’ouverture au monde.
Propos recueillis par Marc Knobel
Photo : D.R.